II- Les
lagunes littorales
A- Définition
Les lagunes sont des plans d'eau, allongés parallèlement
au littoral, peu profonds, isolés de la mer par un cordon meuble
de sables et de galets. La communication avec la mer se fait par des ouvertures
plus ou moins nombreuses dans le cordon. Cette ouverture sur la mer n'est
pas indispensable car il existe des lagunes fermées de façon
permanente ou temporaire.
Les lagunes représentent environ 13% de la longueur des cotes du
monde. On les trouve sous toutes les latitudes, aussi bien dans les régions
polaires que dans les régions tropicales ou tempérées,
que les marées soient fortes ou faibles, encore que les marnages
moyens ou peu marqués soient favorables à leur existence.
Certains rivages ont, sur de longues distances, des lagunes bien développées
: façade atlantique des USA, golfe du Mexique, Mer Baltique, Mer
Méditerranée, littoral sud oriental de l'Australie, côte
orientale de l'Inde.
B- Types de
lagunes
Nichols et Allen ont proposé une classification
des lagunes et quatre catégories ont été distinguées
:
les lagunes estuariennes dans lesquelles le courant
fluvial et les courant de marée jouent un rôle prépondérant
,
les lagunes ouvertes dans lesquelles la marée
a un marnage suffisant pour que le flot et le jusant assurent un autodragage
des passes qui échappent à l'obturation,
Les lagunes semi fermées témoignent
d'un rapport de forces inverses ; les apports de la dérive littorale
tendent à colmater les passes qui se maintiennent difficilement,
Les lagunes fermées caractérisées
par l'absence de courants de marée, ce qui est l'indice d'un faible
marnage, et par des effets de chasse d'origine fluviale.
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A- Lagune estuarienne ; B- Lagune ouverte
C- Lagune semi-fermée ; D- Lagune fermée |
Éléments
morphologiques d'une lagune:
En suivant E.C.B. Bird, on peut distinguer trois parties
dans une lagune assez vaste qui communique avec la mer et qui reçoit
des tributaires.
- La partie externe se trouve à proximité
des passes ouvertes dans le cordon qui isole la lagune de la mer. Dans
cette partie, où les eaux sont salées et le marnage notable,
les bords de la lagune sont occupés par des chenaux de marée.
De part et d'autre de la passe, aussi bien du côté de la mer
que du côté de la lagune, s'accumulent des sables qui constituent
des hauts-fonds appelés deltas de marée.
- La partie moyenne : l'eau est saumâtre et il arrive
que les bords soient érodés en petites falaises ou, au contraire,
festonnés par de petites flèches à pointe libre, due
aux courants qui se produisent dans la langue.
- La partie interne : les eaux sont très peu salées
et les variations du niveau de la lagune faibles. Là où débouchent
les cours d'eau s'édifient de petits deltas à croissance
rapide. Ailleurs les marécages recouverts de roseaux constituent
une marge amphibie .
Schéma de la morphlogie d'une lagune
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1- dérive littorale; 2- courant de marée
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C-
Forces en jeu dans l'évolution des lagunes
Elles sont liées à l'agitation de la mer
(houle, marée), à l'écoulement de l'eau continentale
et au mouvement de l'air.
- La houle qui arrive obliquement par apport au
rivage donne naissance à un transit côtier de sables et de
galets qui nourrit les flèches en arrière desquelles se situent
les lagunes. Ce transfert sédimentaire lié à la dérive
littorale joue un rôle essentiel dans le maintien des cordons et,
lorsqu 'elles existent, dans l'évolution des passes. Si ces cordons
sont trop étroits, il y a débordement de l'eau de mer dans
la lagune. Ce débordement apporte du sable qui participe au colmatage
des lagunes mais aussi à la migration des flèches en direction
de la terre.
- La marée intervient d'autant plus que le
marnage est plus grand et que les passes sont plus nombreuses et plus larges.
Au fur et à mesure qu'elle pénètre plus en avant dans
l'intérieur des lagunes, la marée voit son amplitude diminuer
et sa propagation être retardée. D'une façon générale,
le flot est plus court, plus rapide aussi, que le jusant. Les courants
de marée qui atteignent leur vitesse maximale dans les passes ,
jusqu'à plusieurs mètres par seconde, s'amortissent vers
l'intérieur où ils sont canalisés par des chenaux.
La marée peut provoquer des échanges d'eau considérables
entre la mer et les lagunes.
- Les rivières qui se jettent dans les lagunes
créent des courants de décharge vers la mer dont l'effet
de chasse contribue, avec le va-et-vient des courants de marée au
maintien des passes. Ces courants de charges renforcent les courants de
jusant.
- Le vent se manifeste diversement. Lorsqu'il souffle
vers la terre et que sa vitesse est suffisante, il transporte, par saltation
et par roulage, des sables depuis les cordons littoraux jusque dans les
lagunes situées en arrière , contribuant ainsi, en particulier
dans les régions arides, à leur remblaiement. Sur les lagunes
assez vaste, quelle que soit sa direction, le vent crée des vagues
qui peuvent éroder les berges et faire naître, dans les tranches
d'eau peu épaisses, des turbulences, responsables de la remise en
suspension de sédiments fins, et des courants, générateurs
d'une nouvelle répartition de ces matériaux. Dans les régions
où les marées sont faibles et les apports d'eau fluviale
peu importants, le vent joue un rôle primordial dans l'agitation
de l'eau dans les lagunes. Ainsi dans les étangs côtiers du
Languedoc-Roussillon, les conditions hydrodynamiques sont dans la dépendance
étroite des vents dominant, la tramontane et le marin.
D- L'évolution
des lagunes
Les lagunes constituent un trait éphémère
des cotes. Leur évolution est rapide à l'échelle géologique.
Les lagunes actuelles sont apparues il y a 5 ou 6000 ans à la fin
de la transgression postglaciaire.
Le destin d'une lagune est de disparaître, à
plus ou moins brève échéance, par colmatage lorsque
le niveau de la mer est relativement stable. Si celui-ci s'élève
rapidement, la barrière peut être submergée et la lagune
devenir une baie. S'il s'abaisse la lagune tend à s'assécher.
Les lagunes sont le siège d'une sédimentation
active et continue .Les sédiments piégés dans la lagune
dépassent de loin, en volume, ceux qui s'en échappent. Ces
sédiments sont fins et sont des sables venus de la mer, mais aussi
des limons et argiles apportés par les rivières auxquels
s'ajoute une quantité importante de matière organique. C'et
la présence de la végétation et des êtres vivants
qui permet le retenue de ces sédiments dans la lagune.
E-
Exemple: Venise et sa lagune :
Présentation
de la lagune
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Venise s'étend sur un ensemble compact de 118
îles très rapprochées, reliées par 160 canaux,
au centre d'une lagune de 50 km de long environ et de 15 km de large (superficie
de 551 km2). |
Séparée de la Mer Adriatique par une bande
sableuse, on accède à la lagune par trois passages: le Porto
di Lido, le Porto Malamocco et le Porto di Chioggia. Des chenaux, naturels
et artificiels, balisés par des piliers de bois y permettent la
navigation. La profondeur naturelle moyenne dans la lagune est très
faible, le plus souvent, elle n'excède pas 1 ou 2 mètres.
a lagune se partage en 4 types de surfaces:
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- la première regroupe les surfaces non submersibles
c'est-à-dire les îles, les mottes et les digues, soit un quart
de la superficie totale;
- la seconde rassemble les surfaces submergées seulement
par les hautes marées. Ces terres, couvertes de végétation
propre au milieu salé, présentent les caractéristiques
des maremmes et sont appelées barene c'est-à-dire bancs de
sable.
- un autre type est constitué par les surfaces submergées
par les eaux de chaque marée, abritant une végétation
exclusivement aquatique. Dans cette catégorie se situent les velmes,
étendues de vase perceptibles à marée basse et dans
lesquelles se perdent les canaux mineurs appelés ghebi.
- la quatrième catégorie de surface est celle
des canaux; ces derniers peuvent être naturels ou artificiels puisque
depuis plusieurs siècles, la lagune est régulièrement
adaptée aux besoins de ses habitants.
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Au sein de la lagune, le mélange
particulier des eaux douces et salées est perpétuellement
renouvelé grâce au système des courants et des marées.
Ce brassage permet la purification et l'oxygénation de l'eau de
la lagune et des canaux, essentielles à toute la vie aquatique.
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Les parties bénéficiant de ce continuel
apport d'eau fraîche constituent la "lagune vivante"; les
autres, la "lagune morte". Cette portion morte regroupe: les
marécages, certains canaux, les ghebi et " les vallées
de pêche " c'est-à-dire les parcelles emprisonnées
de la lagune destinées à l'industrie de la pêche. Le
phénomène des marées de la Mer Adriatique se produit
toutes les six heures et atteint les trois passes de la lagune simultanément;
là, le franchissement des bouches de la lagune freine le courant
et l'eau salée pénètre doucement. Cependant, le comportement
de l'eau n'est pas le même selon qu'elle emprunte un canal naturel
ou un canal artificiel. Dans le cas normal (canal naturel), l'amplitude
de la marée diminue du fait des irrégularités et des
rencontres avec les barene sur le parcours mais, dans l'autre cas, la vitesse
augmente car aucune aspérité ne vient frotter contre l'eau,
ce qui provoque de nombreux dégâts. Les vénitiens ont
su profiter des particularités de ce terrain a priori peu accueillant
et y ont instauré une république brillante.
La
maîtrise progressive du terrain
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Pendant toute la période de son expansion, Venise
ne cessa au sens propre du terme de consolider sa position sur la lagune.
La défense du site contre deux dangers majeurs, l'envasement et
l'assaut destructeur des vagues à toujours été - et
est encore aujourd'hui - à l'ordre du jour.
Le cours des fleuves a été détourné
et discipliné, les trois passes par lesquelles la marée s'engouffre
dans la lagune sans cesse aménagées, le mince cordon littoral
protégé de palissades, d'estacades de pierre, de môles,
du Haut Moyen Age au XVIIIe siècle.
Parallèlement, la ville de Venise s'est progressivement
étendue à toutes les parcelles aménageables de la
lagune, en prenant soin de chaque fois renforcer la capacité de
charge du terrain par l'emploi des fameux pilotis.
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La
conservation de la morphologie lagunaire
- l'arrêt du processus de
dégradation de la morphologie lagunaire : l'érosion
naturelle ne peut être supprimée mais on a décidé
de diminuer l'érosion provoquée par la navigation en réduisant
la vitesse de circulation autorisée, de sorte que les vagues soient
sans danger pour les fondations. On a même mis au point un radar
de détection permettant de pénaliser les contrevenants.
- la restauration de la morphologie
lagunaire : cette restauration s'effectue en renforçant
et reconstituant les velmes, les barene et des îles. Le recalibrage
des canaux s'intègre également dans ce programme.
- les mesures préventives : le " Saclant
Undersea Research Center ", centre de recherches marines, étudie
entre autres les modèles de propagation de l'eau dans la lagune
grâce à la disposition de quelques capteurs acoustiques subaquatiques
sur le fond des canaux de transit des bateaux entre Sant'Elena et San Nicolo
du Lido. Les résultats de cette expérience pilote permettront
d'adapter la navigation au site de Venise.
L'installation
de défense contre l'eau
- la consolidation des berges et des fondations Contre
l'érosion du cordon littoral, on a construit des pennelli comme
à Cavallino, au Lido, Pellestrina et Sottomarina. On a également
rechargé artificiellement des plages, renforcé des digues
ou murazzi protégeant des îles ou des quartiers entiers de
Venise.
- le projet Mo.S.E. (" Moïse " en français)
: le projet, proposé en 1982, propose la construction de barrages
mobiles placés dans les bouches du port que l'on lèverait
en cas d'acqua alta. On a évoqué plusieurs projets (bateaux-portes,
modules automatiques à translation horizontale) avant d'opter pour
une série modulaire de vannes mises les unes à côté
des autres et fonctionnant sous la poussée de flottaison. Ce type
de barrage (après expérimentation et études théoriques)
serait formé de deux modules de vannes en forme de prisme ayant
20 m de largeur, 4 m d'épaisseur et une hauteur égalant deux
fois la profondeur moyenne de l'eau dans la section de passage du barrage.
Ce projet est encore à l'étude, notamment au centre expérimental
de modélisation hydraulique de Valtabarozzo mais une solution applicable
semble proche.
- les mesures préventives : Un service de prévisions
des marées et de systèmes d'interventions urgentes est désormais
mis en place. Grâce à un panneau d'affichage place Saint-Marc,
les Vénitiens sont avertis des phénomènes d'acque
alte 48h à l'avance par le centro previsioni e signalazioni maree.
Ils disposent donc du temps nécessaire pour s'organiser avant la
montée des eaux. Les nouvelles installations, et plus particulièrement
les installations électriques, prennent en compte les risques d'inondations
pour choisir leurs emplacements et dispositions.