Lettre Eau n°12-13
Avril 2000
Trézence, un barrage reconnu d'inutilité publique
Le Conseil Général de Charente-Maritime a
voté à l'unanimité le 12 juin 1997 en faveur d'un projet de barrage sur la
rivière Trézence (figure 1).
Les objectifs affichés de ce barrage sont : •
l'apport d'eau douce à l'estuaire de la Charente pour assurer la
production ostréicole, • le soutien d'étiage de la
rivière Boutonne pou diluer les rejets polluants des villes, des
industries et de l'agriculture(part salubrité), •
compenser les prélèvements des irrigants des bassins de la Boutonne et de
la Charente.
Depuis 30
ans, les prélèvements ont augmenté de manière prodigieuse sur le bassin
versant de la Charente, remettant ainsi en cause l'équilibre biologique de
cette rivière, de ses affluents et du bassin ostréicole. En ne maîtrisant
pas sa consommation, l'agriculture irriguée est la principale responsable
de cette situation (figure
2). Ce projet, dont le Conseil Général est Maître d'Ouvrage, est
soutenu par les professions ostréicoles, agricoles et par de nombreux
élus, mais soulève de vives protestations de la part des associations
locales de défense de l'environnement(a) ainsi que
des autorités scientifiques du bassin Adour-Garonne (b). Ces dernières ont mis en évidence de nombreuses
lacunes dans le dossier présenté à l'enquête publique. Le Conseil
Scientifique du bassin Adour-Garronne souligne que "l'analyse
économique (...) surévalue les bénéfices du projet de barrage de la
Trezence. Des appréciations plus réalistes (...) pourraient faire
apparaître un taux de rendement très inférieur à ce qui est généralement
exigé pour mobiliser de l'argent public". Malgré un rapport très
critique sur la forme et le fond du dossier, la Commission d'Enquête a
finalement rendu un avis favorable fin 1999 avec néanmoins de nombreuses
réserves qui n'ont toujours pas à l'heure actuelle été levées par le
Maître d'Ouvrage. Compte tenu de l'enjeu que représente tout barrage pour
l'environnement, il est important de rappeler quelques vérités sur ce
projet et de mettre en perspective les avantages et les inconvénients
qu'il présente.
fig 1 : Situation et fonctionnement du projet de barrage 
 ce plan présente la situation du projet de barrage situé sur la
Trézence affluent de la Boutonne, elle-même affluent de la charente. La
plus grande partie des eaux du barrage ira rejoindre le bassin ostréicole
de l'estuaire en passant par la Boutonne et la Charente. L'autre partie de
l'eau sera acheminée à l'aide d'une conduite artificielle vers l'amont de
la Boutonne afin de compense les prélèvements agricoles. A Le Vert,
Saint-Jean-d'Angély et Saint-Savinien, ont été indiqués les objectifs
minimum de débit en été. Comme on peut le constater, après construction du
barrage, le débit de la Charente à Saint-Savinien sera divisé par deux
afin de permettre aux irrigants "charentais" de prélever davantage d'eau.
Ainsi ce qu'apporte le barrage d'un coté est supprimé de l'autre.
L'ouvrage ne donnera donc pas d'eau supplémentaire pour les rivières et
l'estuaire.
Tableau 1 : Fiche d'identité du barrage 
 Les
deux tiers de l'eau stockée sont en principe destinés aux ostréiculteurs
de l'estuaire de la Charente. Cependant en reprenant les chiffres du
dossier, on se rend compte que plus l'année est sèche plus l'eau est en
fait réquisitionnée pour les besoins agricoles aux dépends de la rivière
et de l'estuaire. Le soutien à l'irrigation est bien un des objectifs
majeurs du barrage. (NC : non communiqué)
Un
barrage hors la loi
Non seulement le projet n'est nullement inscrit
dans le SDAGE Adour-Garonne, contrairement à ce que prétend le Maître
d'Ouvrage, mais surtout, en prévoyant un débit de 4 m3/s à Saint-Savinien
alors que le SDAGE préconise 12 m3/s, et en programmant une augmentation
des prélèvements pour l'irrigation, le projet est en pleine contradiction
avec deux de ses objectifs fondamentaux : le plafonnement des
consommations et la reconstitution prioritaire des débits d'étiage. Or la
loi sur l'eau du 3 janvier 1992 exige que tout programme ou décision
administrative dans le domaine de l'eau soit compatible avec les
dispositions du SDAGE. Force est de constater que le projet ne respecte
pas la loi sur l'eau.
Au delà de la légalité même du projet, se pose
la question de son intérêt pour la collectivité, des points de vue à la
fois économique, sociologique et environnemental. Le dossier mis à enquête
est entaché de lacunes, de contradictions et d'incertitudes. La
Commission d'Enquête précise qu"un peu plus de sérieux dans l'énoncé des
données aurait été apprécié" et que "de tels errements ne font que
provoquer des interrogations pour les personnes prenant connaissance du
dossier". Connaissant l'importance des enjeux, on est en droit de
s'interroger sur la crédibilité et la confiance qu'il est bon d'accorder à
un Maître d'Ouvrage qui fait preuve de tant de négligence.
fig 2 : Evolution des prélèvements d'eau par usage, sur le
bassin de la Charente entre 1970 et 1996 
 l'évolution des consommations d'eau montre
une explosion des besoins pour m'irrigation ces trente dernières années.
Ces prélèvements agricoles sont d'autant plus problématiques qu'ils se
font lors de la saison la plus sèche de l'année quand la ressource est
déjà limitée. Ainsi, en été, l'irrigation représente sauvent plus de 90 %
des prélèvements.
Un barrage qui inverse les saisons!
Un barrage de soutien d'étiage fonctionne en
deux temps. Dans un premier temps, en hiver, il stocke les eaux de la
rivière, qu'il relargue ensuite en été quand les irrigants et les
ostréiculteurs en ont besoin. la première question à se poser, quand vous
projetez un tel ouvrage, est donc de savoir si la rivière aura un débit
assez important pour le remplir ? Ce qui n'est pas le cas pour la Trézence
dont les débits sont trop faibles. Il est donc prévu de pomper le
complément dans la Boutonne en faisant remonter ses eaux par la Trézence
jusqu'au pied du barrage (Figure 1).
Ainsi, l'écoulement de la rivière étant inversé sur près de 4 kilomètres,
l'aval devenant l'amont, il est sans doute prévu de l'expliquer aux
poissons.
D'après les chiffres fournis dans le dossier, il
apparaît malgré tout que même avec les apports de la Boutonne, le
remplissage du barrage n'est pas si évident. Le promoteur de l'ouvrage a
procédé à des simulations de remplissage à partir des chroniques de débits
enregistrés entre 1960 et 1985. On peut se demander pourquoi les années
sèches du début des années 1990 n'ont pas été prises en compte ? Peut-être
que les débits de la Trézence et de la Boutonne n'auraient pas été
suffisants ?
En tout cas la question reste entière et elle
est d'autant p)us pertinente que par un calcul simple fait à partir des
données du dossier, la quantité d'eau apportée par la Trézence semble
avoir été surestimée (Tableau 2).
En effet, en année sèche (de fréquence de retour quinquennale), la
Trézence doit fournir 25 millions de m3, or après calcul de notre part à
partir du débit moyen de cette rivière, le volume n'atteint guère plus de
14 Mm3. les pompages dans la Boutonne seront donc bien supérieurs à ceux
prévus. Ainsi, afin de remplir le barrage, les débits hivernaux de ces
deux rivières seront très fortement réduits. les crues et leurs effets
régénérateurs pour le lit des rivières seront "gobés" par l'ouvrage. En
définitive, on assistera à une inversion des saisons. les rivières verront
passer beaucoup plus d'eau l'été que l'hiver : quel progrès !
Tableau 2 : remplissage du barrage 
 Les valeurs données sur le volume vidané en année
sèche quiquennale et décennale sont variables et contradictoires. (NC :
non communiqué) durant les années les plus sèches, la Trézence doit
apporter entre 20 et 25 millions de m3 au barrage pour le remplir. ces
volumes semblent avoir été surestimés. En effet, après calcul de notre
part à partir des débits moyens de la Trézence, les volumes apportés son
largement inférieurs. Ces différences nous laissent à penser que le
remplissage du barrage n'est pas si évident surtout lors de sécheresses
pluriannuelles comme celles des années 1990 qui n'ont d'ailleurs pas été
prises en compte dans ls calculs du maître d'ouvrage.
Un barrage pour les irrigants construit aux dépens... des
ostréiculteurs.
Le soutien à l'ostréiculture est l'avantage principal affiché par
les promoteurs de l'ouvrage. Cet objectif est sans doute plus défendable
que le développement de l'irrigation qui a déjà été multipliée par 10 en
Poitou-Charentes ces trentes dernières années. Mais qu'en est-il
réellement ? l'eau du barrage est censée fournir une
"assurance-production" que les ostréiculteurs revendiquent sans compter.
Dans les faits, rien n'est moins sûr. Tout d'abord, les volumes d'eau en
théorie consacrés à l'approvisionnement de l'estuaire seront amputés de 25
% les années sèches pour satisfaire. ..les besoins des irrigants (Tableau 1 ).
Ainsi, paradoxalement, c'est quand "l'assurence-production"(si chère au
promoteur de l'ouvrage) pourrait être véritablement effective, qe l'on
choisit de diminuer les volumes d'eau pour les huîtres. Les ostréiculteurs
ont le sens du sacrifice !
Malgré tout, les
irrigants ont peut-être raison de se servir avant leurs collègues de
l'estuaire car les gains pour les ostréiculteurs ne sont jamais évalués
qu'à 1,5 % de leur chiffre d'affaire qui varie de 30 % suivant les années.
Les bénéfices attendus pour les irrigants, même minimisés par le Conseil
Scientifique Adour-Garonne, sont très supérieurs à ceux des
ostréiculteurs: 5,7 MF par an contre 0,7 MF.
Tableau 3 :
Les Bénéfices affichés de l'ouvrage
 Les bénéfices attendus de l'ouvrage ont été
vraisemblablement surestimés par son promoteur afin, sans doute, de mieux
en justifier la
réalisation.
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